Lancé en 2017, ce programme d’innovation sociale est conçu comme un « Commun ». Il a beau avoir essaimé sur 13 territoires différents, il reste complexe à cerner pour les non-initié·es…
Lorsque l’on est membre ou sympathisant·e d’Optéos, il y a peu de chances de n’avoir jamais entendu parler de KPA-Cité. Mais sait-on de quoi il s’agit précisément ?
Les origines du dispositif
Pour mieux comprendre ce qu’est KPA-Cité, revenons sur l’histoire du dispositif.
Optéos est impliqué depuis 2017 dans le développement du programme KPA-Cité. Mais ce n’est pas la Coopérative d’Activités et d’Emploi (CAE) qui porte le dispositif à proprement parler. En effet, celui-ci émane de l’association ANIS (Association pour un Numérique Inclusif et Solidaire), dont une partie des contributrices et contributeurs est aussi membre d’Optéos. C’est le cas de Marion Rousseaux et de Simon Sarazin. Cette commoneuse et ce commoneur, après avoir vécu une expérience de Coopérative Jeunesse de Service (CJS) à Boulogne-sur-Mer, sont à l’origine de la première expérimentation sur le territoire de Roubaix. Si la CJS, modèle importé du Québec, est une coopérative d’activité éphémère qui s’adresse uniquement aux jeunes entre 16 et 18 ans sur la période estivale, le dispositif KPA-Cité quant à lui entend dès le début dépasser ces limitations pour s’inscrire comme une opportunité de développement économique durable et ouverte à toutes et tous.
Comme son nom l’indique, le dispositif mise sur la capacitation des individus et des collectifs. Autrement dit la possibilité pour chaque personne de développer les compétences menant à une certaine autonomie dans les domaines économiques et professionnels.
L’ambition de KPA-Cité peut donc être résumée assez simplement…
Amener l’entrepreneuriat coopératif – rendu plus accessible par les CAE – là où la société en a peut-être le plus besoin : dans les territoires concentrant de fortes inégalités économiques et sociales.
En pratique, la mise en place du dispositif opère de manière variable sur les différents territoires d’implantation. Celle-ci dépend de la mobilisation de nombreux partenaires et doit s’adapter aux besoins et aux caractéristiques des différents publics concernés. Pour autant, les différents KPA-Cité conservent un noyau fort de particularités communes qui en font toute l’originalité.
Le concept KPA-Cité
Accueillant toute personne motivée à partir de 16 ans, un « KPA » se veut un lieu durable d’expérimentations, de formation et d’échanges de savoirs de pair à pair. Les personnes qui rejoignent le dispositif sont invitées à concevoir, prototyper et réaliser des prestations à partir de leurs passions, de leurs savoir-faire ou d’intérêts nouveaux développés au sein du collectif. Les activités de production de biens ou de services sont diverses. Mais une attention particulière est portée à la cohérence avec les valeurs de l’économie sociale et solidaire, en particulier la dimension éco-responsable et l’articulation avec le territoire local.
Un KPA est avant tout un outil concret d’éducation populaire à l’économie coopérative.
Un KPA est pensé à la fois comme un espace physique, souvent appuyé sur un tiers-lieu, et comme une marque collective. Il est co-géré par les membres dynamiques, à travers des processus de gouvernance partagée qui se construisent sur place, au fur et à mesure de la vie du groupe. L’implication dans un KPA permet donc de s’initier à l’entrepreneuriat coopératif, de la création à la réalisation des prestations en passant par l’acquisition des différentes compétences entrepreneuriales (prospection, tarification, communication, facturation…). Un parcours qui permet également de découvrir les principes de la contribution et de la répartition collective. En ce sens, un KPA est avant tout un outil concret d’éducation populaire à l’économie coopérative.
Le Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise (CAPE) porté par une structure économique (CAE ou autre), offre le cadre légal et administratif qui permet de tester les différentes activités économiques sans avoir à renoncer à son précédent statut ou à ses minimas sociaux. Les coopérant·es du KPA, tout comme les entrepreneur·es de la CAE, peuvent ainsi rapidement facturer et choisir de se rémunérer ou de générer de la trésorerie pour financer leurs futurs projets.
La particularité des KPA
Dès lors, quelle est la différence entre un KPA et la CAE dans son ensemble ?
La différence principale réside dans la dimension territoriale et collective des activités développées. Un KPA permet la création d’un espace ouvert et partagé d’expérimentation collective à l’entrepreneuriat, facilitant son accès à des personnes qui n’oseraient peut-être pas se lancer seules dans l’aventure. En ce sens, un KPA est comme un générateur d’activités économiques partagées sur un territoire. Alors que dans une CAE les entrepreneur·es sont le plus souvent accompagné·es de manière individuelle dans leur projet d’activité, les KPA permettent d’accompagner à la fois le collectif (pour le développement de l’activité économique commune créée) et les individus (parcours de chacune et chacun au sein du dispositif et au-delà).
Une autre différence réside dans le public des coopérant·es : si la mixité sociale est encouragée, les personnes accueillies dans les KPAs sont généralement peu diplômées, éloignées de l’emploi et de l’entrepreneuriat et le plus souvent dépourvues de capitaux. Il est très rare que celles-ci aient eu accès à l’information concernant l’existence des CAE, voire de l’économie sociale et solidaire dans son ensemble. Ces personnes peuvent donc ignorer les opportunités alternatives au marché de l’emploi traditionnel et/ou rencontrer des obstacles particuliers au cours de leur processus de création d’activité. C’est pourquoi elles bénéficient, au sein même du KPA, de l’accès direct à un espace et à des ressources de travail mutualisés, mais aussi à un accompagnement socio-professionnel renforcé. Le KPA, de par sa proximité et son accessibilité directe, peut alors servir de « sas » ou de pied à l’étrier pour les individus, dans le cadre d’une remobilisation professionnelle. Selon les situations et les personnes, cela peut conduire ensuite les coopérant·es à créer une entreprise autonome, à rejoindre une CAE, ou encore à revenir sur le marché de l’emploi salarié enrichi·es de cette expérience.
Tisser localement de nombreux partenariats
Pour ce faire, un KPA s’appuie sur le partenariat entre plusieurs structures : une structure porteuse du dispositif (centre social, association de jeunesse ou d’insertion, municipalité…), une structure économique hébergeuse (CAE, comme Optéos ou Tilt, couveuse d’entreprise ou association dédiée) et un lieu d’accueil (tiers-lieu, fablab, incubateur, cuisine partagée…).
Un développement économique rendu possible par la mise à disposition de ressources consolidées via des Communs.
Au-delà de cette base tripartite, il s’agit aussi de tisser localement de nombreux partenariats complémentaires permettant à la fois de répondre aux besoins des coopérant·es et de favoriser le développement de leurs activités économiques. Cela peut aussi être facilité par la mise à disposition de ressources consolidées, accessibles et opérationnelles, via des Communs, comme les plateformes numériques ouvertes et partagées. Citons par exemple CoopCycle pour la livraison à vélo, Openfoodfrance qui centralise des outils et connaissances open source pour la démultiplication des circuits courts, ou encore les Wikis, qui permettent de documenter des « ressources communes à consolider » sur la création d’activités diverses.
Enfin, tout comme Optéos, les KPAs favorisent la logique de contribution. Elle permet aux entrepreneur·es de proposer leurs services au sein du dispositif, mais aussi à des coopérant·es de former leurs pairs ou de devenir à leur tour accompagnantes ou accompagnants.
Pour saisir plus concrètement le dispositif, allons voir ce que cela donne sur le terrain avec un tour d’horizon des quatre premières émanations locales de KPA-Cité.
Tour d’horizon de la « première vague » de KPAs
La Cape, à Roubaix
Le tout premier KPA a été créé à Roubaix en juillet 2017. Accueilli dans les locaux de La Condition Publique, au cœur du quartier du Pile, il a été baptisé La Cape par ses membres après quelques mois d’existence. Caractérisé au départ par un public jeune, ce KPA a permis le développement de plusieurs activités liées à l’événementiel, à la menuiserie, au numérique (découpe laser et impression 3D), à la sérigraphie et à la création textile. Ici, les coopérant·es sont accompagnés par des spécialistes autonomes ou des associations partenaires qui contribuent au dispositif en fonction des besoins et des envies des coopérant·es. Certains membres de La Cape ont même changé de casquette au cours de leurs parcours dans le KPA, en formant les personnes arrivées après eux ou en contribuant ailleurs à l’essaimage du dispositif.
► Site web : lacape.initiative.place
Moulins Coop, à Lille
En mars 2018, c’est la Maison de Quartier de Moulins, un centre social basé à Lille-Moulins, qui emboîte le pas des roubaisien·nes en lançant le dispositif KPA-Moulins, rebaptisé « Moulins Coop » par la suite. Ici, les activités qui se développent ont trait principalement à la restauration et au jardinage, le centre social étant justement en charge de l’extension et de l’aménagement d’un jardin partagé. Côté cuisine, ce KPA composé en majorité de mères de famille, proposera des buffets traiteur mêlant produits locaux et saveurs orientales. Le succès est au rendez-vous ! Quelques jeunes coopérants viendront seconder les femmes en se chargeant de la livraison et du service des buffets commandés. Ici, c’est une équipe de salarié·es du centre social qui accompagne les coopérant·es et le développement des activités, tout en s’appuyant sur des interventions ponctuelles des contributrices et contributeurs du réseau KPA.
► Page web : kpa-moulins
Illicoop, à Mons-en-Barœul
Du côté de Mons-en-Barœul, c’est en septembre 2018 que le KPA baptisé « Illicoop » démarre ses activités, à l’appui du centre social Imagine et du tiers-lieu MonsFabrica. Les membres de ce KPA, plutôt jeunes, se forment et développent des activités dans des domaines variés : cuisine, livraison de courses pour les résidences accueillant des seniors, événementiel… Avec l’envie de mettre en œuvre des actions utiles, deux jeunes femmes lancent par exemple le projet « Décapsule ta ville » qui consiste au ramassage et au recyclage de cartouches de protoxyde d’azote ainsi qu’en des actions de prévention à destination des jeunes. Ici différentes modalités d’accompagnement ont été testées : accompagnement par l’équipe salariée du centre social, puis uniquement par des intervenant·es extérieur·es, toujours à l’appui d’un réseau de partenaires tissé autour du projet.
► Page web : illicoop-mons
Les Coopains à Bord !, à La Rochelle
Enfin, à compter de novembre 2018, KPA-Cité dépasse les frontières de la région Hauts-de-France et s’implante à La Rochelle avec la création du KPA « Les Coopains à Bord ! ». Réunissant une quarantaine de coopérant·es de 16 à 25 ans, ce KPA propose aux entreprises, aux particuliers et aux collectivités des services variés autour de l’événementiel, de la cuisine, de la confection de mobilier en bois… Très engagé dans l’économie circulaire, ce KPA développe aussi la fabrication de sacs, de dessous de verres, ou encore d’une marque de vêtements. Ici, l’accompagnement est effectué par les deux salarié·es de l’association porteuse, toujours avec l’appui de nombreux partenaires locaux.
(photo de Une)
► Page web : kpa-la-rochelle
Ainsi, chaque KPA possède une identité propre et développe des prestations et des manières de fonctionner. Elles varient d’un territoire à l’autre, en fonction des publics et des opportunités rencontrés, mais aussi des ressources et des moyens à leur disposition.
Retour vers le futur : développement actuel et essaimage
Pensé dès le départ comme « un réel commun [qui] puisse être dupliqué largement » (les ressources du Wiki et du site internet KPA-Cité sont toutes en licence Creative Commons), le dispositif KPA-Cité attire et inspire en effet différents territoires.
Tandis que la première vague de KPA présentée ci-dessus est en pleine phase de renouvellement via l’accueil de nouvelles cohortes de coopérant·es, neuf autres KPA ont vu le jour depuis 2018 sur les territoires de Boulogne, Grande-Synthe, Valenciennes, Arras, Marcq-en-Baroeul, Coudekerque-Branche, Nogent-sur-Oise et sur les quartiers Faubourg de Béthune et Fives à Lille. Les montages de ces KPAs peuvent impliquer des structures aussi diverses que la BGE, le dispositif Territoire Zéro Chômeur, une épicerie solidaire, un Conseil citoyen ou encore une Mission Locale.
D’autres KPA sont encore en cours de création dans l’attente des financements nécessaires. En effet, chaque KPA doit aller chercher ses soutiens financiers auprès des collectivités locales ou de fondations privées. Tout en conservant son indépendance, chaque structure intéressée par le dispositif peut rejoindre le réseau inter-KPA qui, dans un esprit de réciprocité, permet l’échange et favorise la mise en commun des ressources, savoirs et compétences produites dans chacune des émanations du dispositif.
Derrière la diversité des montages et des orientations, on trouve toujours la même aspiration chez celles et ceux qui s’engagent dans le projet : proposer un dispositif innovant, inclusif et impliquant la population du territoire afin de leur permettre de développer un réel pouvoir d’agir, y compris sur le plan économique.
Vers des communs costauds
Mais il ne faut pas oublier la question des ressources communes à consolider qui permettent de créer ces activités économiques. Comme l’explique Simon Sarazin, l’un des contributeurs du dispositif : « Aujourd’hui, c’est encore assez accessoire, mais demain, je crois que ça peut tout changer dans le potentiel transformateur d’un KPA-Cité qui arrive sur un territoire. Car il arriverait avec tout ce capital « commun » qui a une valeur inestimable, composé de ressources et de retours d’expériences mis à disposition. Par exemple l’accès à une plateforme coopérative open-source pour démarrer une activité (livraison, achat groupé, transport…), le partage de plans de matériel, de machines ou de logiciels libres qui facilitent les activités de fabrication, des retours d’expérience consolidés autour de la mise en place d’une cantine, d’une épicerie, d’une conciergerie, d’une friperie, d’un atelier de réparation… »
Au-delà de ses effets directs en termes de remobilisation professionnelle et d’éducation à l’économie coopérative dont bénéficient les coopérant·es, KPA-Cité peut aussi être appréhendé sur le long terme comme une alternative pérenne capable de générer des activités économiques durables et concurrentielles au plus près des territoires. Et à Simon Sarazin de rappeler : « Je crois que ça marchera seulement si on base ces activités sur des communs costauds mutualisés entre les KPAs, les CAE, et d’autres… pas si l’on reproduit ou copie les modèles actuels. »
En ce sens, l’ambition de KPA-Cité est en réalité d’une ampleur considérable, offrant sans doute au dispositif de belles et longues années de développement.
Pour aller plus loin :
- Comprendre le dispositif en 2mn (vidéo)
- Découvrir le site de KPA-Cité
- Découvrir le site d’ANIS-Catalyst
- Consulter le blog de Simon Sarazin dédié aux Communs