La CAE s’est réunie le 15 juin, à Tourcoing, pour une journée annuelle de préparation de l’assemblée générale. Rendez-vous particulièrement apprécié par les membres de la coopérative qui se retrouvent en présentiel et réfléchissent, en collectif, au fonctionnement et à l’avenir d’Optéos.
Afin d’informer les entrepreneur‧es des actualités de la coopérative et de préparer les propositions soumises ensuite lors de l’Assemblée Générale annuelle, Optéos organise depuis quatre ans une journée spéciale pour tous les membres de la CAE. Le 15 juin dernier, au CUBE-EIC de Tourcoing, l’équipe support, les membres de la cogérance et tous les entrepreneur‧es en contrat CAPE ou ESA étaient invité‧es à participer à ce temps collectif. « C’est le seul moment de l’année où nous parvenons à rassembler autant de personnes en présentiel. Nous sommes environ 40% des effectifs de la coopérative à réussir à nous libérer pour assister à cette pré-AG, constate Christian Dupuy, l’un des trois cogérants d’Optéos. Cette journée nous permet de donner des informations et de réfléchir ensemble », ajoute-t-il. « Lors de la pré-AG, nous partageons les enjeux de la CAE et les questionnons, appuie Benjamin Danon, également cogérant depuis l’an dernier. L’assemblée générale est réservée aux associé‧es de la coopérative. Cette journée préalable est une occasion d’interconnaissances, d’échanger des relations humaines et donne la possibilité à tous et toutes de s’approprier le fonctionnement de la coopérative, y compris aux entrepreneur‧es qui ne seront pas à l’AG », précise Benjamin.
« Cette pré-AG est essentielle pour la vie démocratique de la CAE, souligne Séverine Romanowski, élue à la cogérance d’Optéos depuis 2020 (lire l’article de Christophe Barron). Au sein de la structure, nous fonctionnons grâce à un cercle d’orientation qui se réunit une fois par mois. On y pilote la coopérative mais avec un nombre restreint de personnes. Cette journée conviant l’entièreté des membres prépare à la vie d’associé‧e. Un‧e entrepreneur‧e qui n’a pas été acculturé‧e aux coopératives d’activité et d’emploi et qui ne saisit pas le fonctionnement spécifique d’Optéos ne sera pas à l’aise pour juger des idées complexes et encore moins pour voter les décisions en assemblée générale » argumente Séverine. Il y a donc une notion d’apprentissage fondamental lors de cet évènement phare annuel de pré-AG.
Stabiliser la CAE après la croissance
Plusieurs enjeux partagés peuvent cette année impacter fortement la façon dont Optéos fonctionne. Le principal concerne la double croissance qu’à récemment connue la CAE : le nombre d’entrepreneur‧es a été multiplié par quatre en cinq ans et le chiffre d’affaires a battu un record en 2021 puis de nouveau en 2022. Toute entreprise doit se stabiliser après une période de forte croissance.
« Les tendances du premier semestre 2023 montrent que le chiffre d’affaires de cette année ne sera probablement pas aussi élevé que celui de l’an dernier, informent les cogérants. Nous devons nous adapter au fait que nous sommes plus nombreux‧es et qu’il y a donc une augmentation de besoin d’accompagnement ». En parallèle, les personnes qui contribuent (lire l’article de Julie Sérouart sur la contribution chez Optéos) n’affluent pas. « C’est l’occasion de nous interroger sur notre modèle économique et sur notre fonctionnement, de réfléchir sur l’évolution de la contribution rétributive et de trouver des solutions contre un éventuel épuisement des personnes contributrices », pose Christian Dupuy. « Aujourd’hui, avec le risque d’une baisse de CA, nous réunir permet de chercher des pistes et de définir ce que nous souhaitons, ajoute Benjamin Danon. Accepte-t-on une diminution du chiffre d’affaires sans sourciller ? Et quelles ressources mobilise-t-on pour répondre à nos envies ? »
« Il nous faut nous interroger sur notre fonctionnement et notre avenir. »
Intelligence collective stimulée
Les différents enjeux, tendances et chiffres actuels ont été présentés le matin, suivi d’un échange entre entrepreneur‧es, animé par Pierre Wolf. Plusieurs sujets d’actualité ont ainsi été exposés, discutés et facilités par l’usage d’une technique d’intelligence collective appelée “Bocal à poissons” » (fishbowl).
L’après midi, pour avancer plus concrètement sur la compréhension des problématiques que rencontre la coopérative, des ateliers collectifs ont été organisés. À l’animation : Géraldine Louis, co-entrepreneure d’Optéos en facilitation et en transformation culturelle d’entreprises. « Avec Séverine Romanowski qui a organisé ce temps de réflexion, nous avons choisi d’utiliser la méthode d intelligence collective du “proaction café”. C’est un process qui permet de faire mûrir une idée ou un projet avec 3 phases : on se pose d’abord la question de l’intention, ce vers quoi on désire aller, puis on examine les freins, les difficultés mais aussi les ressources existantes et enfin on explore des possibilités de pistes » présente Géraldine.
Cinq thématiques ont été étudiées :
- l’accompagnement au sein de la coopérative
- la contribution rétributive
- le modèle économique et le financement de la structure
- la formation chez Optéos et son processus certifié Qualiopi
- la visibilité extérieure de la CAE
L’étage principal du Cube-EIC avec tout son espace attribué permet à tous les groupes d’être confortablement dispatchés : cinq tables, un sujet par table et un référent par thématique accueillant six à sept entrepreneur‧es intéressé‧es pour avancer les phases du process. Ainsi, à la table « Financement », en phase d’intention, plusieurs commentaires s’échangent. « Que voulons-nous quant à la croissance du chiffre d’affaires d’Optéos ? Cherchons-nous à conserver un équilibre ou souhaitons-nous dépasser le CA chaque année ? ». Plusieurs remarques complémentaires exposent le fait qu’une entreprise tout juste à l’équilibre ne peut pas investir et est donc très limitée pour innover. « Or, chez Optéos, nous accordons de l’importance à un aspect expérimental, à une forme de laboratoire de nouvelles modalités de travail, explique un entrepreneur. Sans croissance suffisante, la CAE pourrait être bloquée par rapport à cela ». Un point de vue pragmatique se fait entendre : « Si nous constatons une baisse de chiffre d’affaires, comment pourrait-on faire pour évaluer ce qui fonctionne moins bien et ce qui fonctionne quand même ? Quels seraient les critères qui compteraient pour établir ce diagnostic ? »
« Une entreprise tout juste à l’équilibre ne peut pas investir et se retrouve donc limitée pour innover… »
Dans la phase « freins et difficultés », autour de la table travaillant la thématique sur l’accompagnement idéal au sein d’une CAE à 120 membres, un témoignage détonne : « Je suis arrivée en fin d’année dernière avec l’envie de rejoindre un collectif. Or je me suis sentie perdue car il y a vraiment beaucoup d’informations à comprendre pour commencer son activité. Et il n’est pas simple de chercher ces informations avec tous les canaux de communication existants. J’ai mis du temps avant de savoir si je m’adressais à la bonne personne avec telle ou telle demande, si j’utilisais l’outil numérique adéquat. Bref, je me suis sentie un peu seule au début ! » Plus tard dans les échanges, l’animatrice de la table commente : « La raison d’être de l’accompagnement chez Optéos, c’est le pair à pair. Pouvoir s’épauler entre entrepreneur‧es est une vraie ressource au sein de notre CAE mais cela peut se voir aussi parfois comme une contrainte. »
Le choix de la CAE depuis 2017 lorsque Simon Sarazin en prend la gérance (lire l’article de Magali Nayrac sur l’histoire d’Optéos) est de fonctionner essentiellement avec un mode contributif rétribué. Il est vrai que cela a permis à la structure de réaliser des économies indispensables à l’époque. Mais c’est surtout pour les valeurs humaines et de coopération développées dans ce modèle que l’accompagnement entre pairs est apprécié chez Optéos. Il favorise à la fois l’entraide et l’autonomisation des entrepreneur‧es. « Dans la plupart des autres structures, ce sont des salarié‧es qui accompagnent le développement économique des entrepreneur‧es, commente Séverine Romanowski. Chez nous, il y a une relation d’équivalence entre la personne qui conduit son activité et celle qui l’accompagne, puisqu’elle-même gère sa propre activité entrepreneuriale, explique la cogérante. Cela permet un vrai partage d’expériences vécues. »
« …Le pair à pair est au centre de l’accompagnement chez Optéos. »
Or cet accompagnement nécessite aussi beaucoup d’investissement, de temps, d’organisation et d’énergie. La contribution au sein de la de la coopérative est volontaire et non obligatoire. Il faut donc suffisamment d’entrepreneur‧es à la fois disponibles et parvenant à équilibrer leurs propres activités professionnelles avec cet accompagnement contributif. C’est en cela qu’il peut également être perçu comme une forme contraignante de fonctionnement d’Optéos. Il arrive qu’à certains moments de l’année, il y ait un manque de contributeurs et de contributrices et il n’est pas facile d’anticiper ces périodes.
Dans la troisième phase du « proaction café », des pistes sont à proposer. Par exemple, à la table « Contribution », on se questionne sur des solutions qui pourraient rendre ce système pérenne. Des idées sont présentées : « Il serait utile de donner de la visibilité sur les besoins en contribution plus régulièrement. » Une autre participante au tour de table répond : « En effet, je suis d’accord, communiquer plus clairement sur les manques relatifs aux indisponibilités des entrepreneur‧es qui contribuent pourraient en motiver d’autres à s’intéresser à ce qu’est la contribution et peut-être à rejoindre les équipes en besoin. »
« Proposer un temps d’immersion à la contribution pourrait être pertinent.»
« Nous pourrions donner de l’information plus claire aux nouveaux‧elles membres de la coopérative » propose une autre personne « et expliquer en quoi cela consiste de faire de la contribution rétributive. Parfois les entrepreneur‧es n’en font pas parce qu’ils ne savent pas comment commencer ou qu’ils ne connaissent pas le fonctionnement (comment s’effectue la rétribution au niveau comptable par exemple ou quelle personne contacter) ». Un contributeur renchérit cette piste : « Inviter systématiquement un‧e entrepreneur‧e, les premiers mois de son arrivée chez Optéos, dans un temps d’immersion à la contribution pourrait peut-être se révéler un moyen de sollicitation pertinent ».
À la table étudiant la question du modèle économique et du financement de la CAE, on explore aussi des pistes éventuelles. L’une d’elles est d’augmenter la partie obligatoire que les entrepreneur‧es versent à la coopérative en échange des services de gestion administrative et comptable. Actuellement, en rejoignant Optéos, chaque personne accepte de participer au financement de la structure à hauteur de 10,65% de son chiffre d’affaires individuel. L’augmentation de ce pourcentage permettrait des revenus complémentaires à la coopérative.
Préparer l’AG et les décisions à prendre
« Nous laissons environ 30 minutes d’échanges pour chaque phase de ce grand “brainstorming” précise Géraldine Louis. Une fois les 3 étapes terminées, nous passons à la restitution. Elle consiste à présenter plusieurs propositions possibles de solution pour chaque thème travaillé. » Ces pistes sont écrites et affichées clairement. Les personnes présentes sont alors invitées à donner leur avis à l’aide de post-it : « Nous demandons aux entrepreneur‧es d’Optéos de donner trois coups de cœur, c’est à dire de mentionner à côté des propositions quelles sont leurs trois préférées parmi toutes les pistes concernant l’ensemble des cinq thématiques » explique Géraldine. Cette interaction permet de faire ressortir aisément des solutions qui semblent crédibles, acceptables, intéressantes et qui plaisent à une majorité de membres. « C’est de la matière qui va non seulement servir aux associé.es d’Optéos pour la prise de décisions lors de l’assemblée générale mais cela va nourrir aussi des réflexions pour améliorer le fonctionnement de la coopérative ces prochains mois » souligne Géraldine.
Le trio de la cogérance d’Optéos confirme et espère que ces discussions en pré-AG aident non seulement les membres de la coopérative à mieux cerner les différentes problématiques mais aussi chaque associé.e à se faire sa propre opinion sur les enjeux en cours. « Nous nous appuyons sur le travail de cette journée pour travailler les résolutions à voter en assemblée générale », poursuivent les cogérants. Ainsi, quelques jours après, l’augmentation de la partie obligatoire versée par les entrepreneur‧es à la coopérative a été proposée au vote. « Lorsque nous avons évoqué cette piste en pré-AG, plusieurs personnes ont fait le commentaire qu’elles ne pourraient pas assumer une augmentation de charge trop forte au vu de leur activité parfois en diminution », relate Séverine Romanowski. Ces retours d’information ont été pris en compte. « Nous avons donc proposé une augmentation à 11,5% du CA par entrepreneur‧e et non à 12%, taux coopératif que je pensais personnellement nécessaire. Avec ma casquette de cogérante, j’étais avant tout centrée sur les besoins de fonctionnement d’Optéos » reconnaît Séverine.
« Nous avons donc proposé la résolution à voter d’une augmentation du taux coopératif obligatoire… »
Un peu de danse pour énergiser les équipes
Lors de ces journées annuelles de pré-AG toujours intenses au niveau de la concentration et où la participation de toutes et tous est encouragée, l’équipe d’organisation intègre toujours des moments de respiration et de sourires. Ce 15 juin, deux temps ont été prévus pour mettre en mouvement les corps avant de mobiliser têtes et esprits. Un bon moyen aussi, l’après-midi de stimuler la digestion juste après la coupure du déjeuner et de remotiver les troupes ! C’est grâce à notre co-entrepreneure Cécile Félix ayant une double casquette de consultante qualité et de chorégraphe que les membres de la coopérative se sont mis debout, ont marché et ont bougé en écoutant de la musique.
« Mon approche de la danse est liée à ma pratique du hip-hop freestyle, explique Cécile. Je propose au groupe de s’exprimer spontanément avec des mouvements corporels improvisés sur différents morceaux musicaux. Chaque personne se met en mouvement à son rythme et selon ses capacités. » Il n’y a pas d’exigence esthétique. Plutôt avec des mouvements doux au début, on bouge comme on en a envie. L’instant est propice au bien être et à une sensation de liberté. D’ailleurs, plusieurs personnes se mettent pieds nus. Lorsque la musique s’accélère, les gestes dansés peuvent devenir plus dynamiques. « J’amène l’état d’esprit hip-hop qui a dans ces principes fondateurs : la conscience collective, la variété de modes d’expression, le respect » précise Cécile.
Selon Cécile, en mettant les membres de la coopérative dans une situation inhabituelle et en leur demandant une mise en mouvement sous la forme de chorégraphie improvisée, cela provoque une détente globale et une légèreté. « Ce moment vient chatouiller l’esprit créatif et peut ensuite inspirer le groupe différemment au moment de la mise en réflexion » ajoute-elle. Les entrepreneur‧es ont apprécié ce moment atypique de lâcher-prise et le côté décalé de la proposition : échanger des sourires, en version dansante et musicale, avant de se remettre à réfléchir sérieusement.
Pour aller plus loin
- La contribution chez Optéos :
- article du blog : Optéos, la CAE qui tourne au budget contributif
- article du blog de la CAE : la contribution chez Optéos
- La méthode d’intelligence collective du « proaction café » aussi appelée « world café » :
- Description du processus sur le site metacartes
- Le « world café, café intelligent » sur la base de données multibao, carnet de bord des organisations novatrices
- Géraldine Louis et sa marque Histoires collectives – Profil Linkedin
- Cécile Félix et sa marque ImpGroove – Profil Linkedin
- Rémi Vimont Studio photo Eiio – Page Instagram